Quelques repères chronologiques
1204 : Sac de Constantinople par la 4e Croisade – date retenue par Modeste Schwartz dans Køvíd comme « acte de naissance » du 1er Occident : de l’Occident médiéval, c’est-à-dire de la partie du Moyen-âge qu’on peut, dans l’optique de Køvíd, considérer comme relevant déjà principalement de la Culture occidentale – succédant, dans la partie du monde concernée (le Monde ancien), à la Culture Magique.
1648 : Traité de Westphalie – l’une des dates qu’on peut retenir pour marquer la charnière entre 1er Occident (cf. supra) et 2e Occident : Occident des monarchies absolues/centralisatrices, qui ont été le cadre politique de la plupart des phénomènes auxquels l’historiologie populaire fait généralement référence en parlant « d’Ancien régime ».
1806 : Triomphe des armées napoléoniennes sur les armées allemandes devant Iéna – date retenue par Hegel pour marquer sa « fin de l’Histoire » (diagnostic repris par son grand vulgarisateur/continuateur Kojève dans les années 1930), puis reprise par Modeste Schwartz dans Køvíd comme « acte de naissance » du 3e Occident : l’Occident démocratique, ou Occident des Etats-nations.
2020 (mars) : Premier confinement mondial du covidisme, marquant le début officiel de la Grande Réinitialisation schwabienne – date retenue par Modeste Schwartz dans Køvíd comme début de la fin du 3e Occident.
N.B. : dans le texte ci-dessous, il va de soi que ces repères chronologiques doivent être compris lato sensu, dans la mesure où certaines innovations « dans l’esprit de 1806 », par exemple, remontent en réalité à l’époque du général/consul Bonaparte (et notamment des guerres d’Italie de la toute fin du XVIIIe siècle), tandis que certains éléments du covidisme – faisant singulièrement écho à certains épisodes vaccinalistes de l’époque napoléonienne – datent bien évidemment des années suivant 2020.
Napoléon, héros de tous les branleurs[1]
Un film hollywoodien récent ayant remis à la mode le personnage de Napoléon Buonaparte, on assiste à un déballage rituel qui n’est pas sans évoquer celui – d’ailleurs imminent, en cette saison – des décorations du sapin de Noël, stockées au grenier des familles dans tel ou tel carton crasseux ayant préalablement servi d’emballage à un aspirateur made in China. On a déballé le pro et le contra, en ajoutant (pour cause de crise) un minimum absolu de nouvelles boules en synthétique pour remplacer celles que le chat avait cassées l’année dernière.
De façon prévisible, le bilan des opérations sera le même que d’habitude : comme Staline en Russie et pour les mêmes raisons, Napoléon, étant celui des leaders démocratiques qui a tué le plus de français, reste la plus consensuelle des figures du Panthéon national.
Comme le géorgien Staline, le corse Napoléon a su incarner la nostalgie identitaire d’une nation ethniquement composite, d’une société suffisamment atomisée par le christianisme et le féminisme pour ne plus trop savoir qui elle est, pour – subséquemment – aspirer à l’unification fantasmatique[2], mais simultanément hantée par le spectre d’un réveil de l’ethnique[3] : si Djougachvili pouvait être « russe » (plus exactement : homo sovieticus), c’est que, finalement, c’était une prouesse à la portée de n’importe quel caucasien[4] – à condition du moins de parler russe, au moins comme Staline le faisait lui-même, c’est-à-dire, jusqu’à la fin de sa vie, avec un fort accent géorgien. Corse par malchance et français d’occasion, Napoléon avait – avant de performer dans la start-up kleptocratique Directoire – envisagé une carrière d’indépendantiste corse, mais aussi de janissaire au service du Sultan[5] – un peu comme Staline, avant de découvrir dans le marxisme la da’wa susceptible de mener les armées d’un nouvel Omar (lui) jusqu’aux portes (comme d’habitude) de Byzance, était nationaliste géorgien, et se faisait appeler Koba[6].
Comme Staline avec son Proletkult[7], Napoléon avait, de son vivant, misé, en matière de propagande, sur le style le plus lourd et le plus bête – option stratégique presque toujours gagnante : huit générations plus tard, les descendants des neveux de ses victimes trop jeunes à l’époque pour être traînées jusqu’en Moscovie et servir de lubrifiant au sabre des cosaques vouent souvent un culte adolescent[8] au bourreau de leurs grands-oncles. Ces masses démocratiques qu’on célèbre bruyamment sous le nom de « peuples » sont – ne l’oublions jamais – des créatures spirituellement femelles : plus vous leur castagnez la gueule, et plus elles vous aimeront.
Pendant que tous ces masturbateurs tardifs et autres éjaculateurs précoces ressassent les mantras du délicieux Code civil (rédigé par la fiotte Cambacérès), récapitulons, si vous le voulez bien, les mérites historiques réels du petit corse. Comme tout révolutionnaire occidental couronné de succès, ce dernier avait pour principal talent l’opportunisme épocal : identifier les réformes abjectes et innommables que l’immanence sociale exige sans que personne n’ose jusque-là le dire. Depuis que l’Occident est Occident, il y a toujours un roi nu en train de parader, dans l’attente d’un gosse suffisamment pervers pour le faire remarquer à haute voix – en feignant, bien entendu, la plus parfaite innocence.
Parfaire l’abomination de la Révolution
Comme toutes les révolutions de l’Occident, la Révolution française n’avait pas éclaté parce que le sous-système épocal (en l’occurrence : le 2e Occident) auquel elle mettait fin s’était montré trop réactionnaire, mais au contraire parce qu’il s’était montré extrêmement zélé dans le progrès, c’est-à-dire l’alourdissement constant du fardeau imposé à l’humanité par le Léviathan étatique : le peuple se sentait écrasé par le poids (notamment fiscal) de la bureaucratie civile de l’Etat monarchique centralisé. Il ressortira donc du bain de sang « Révolution + Empire » affligé de cette même bureaucratie civile, à laquelle se sera entre temps ajoutée la militarisation du Tiers-état.
Car c’est bien à cela que devait servir la fameuse nuit du 4 août : il faut liquider le principe aristocratique, pour que tout le monde vote, afin que tout le monde contribue – par l’impôt au budget, et, par le service militaire, à l’armée nationale, c’est-à-dire à la nation devenue armée.
Si vous avez l’impression que je divague ou sombre dans le dadaïsme historiographique, jetez donc un coup d’œil à ce qu’Hippolyte Taine (1828-1893) écrivait dans Les Origines de la France contemporaine (1875) :
« [Le peuple au moment de la Révolution] croyait [la conscription] accidentelle et temporaire. Après la victoire et la paix, son gouvernement continue à la réclamer : elle devient permanente et définitive ; après les traités de Lunéville et d’Amiens, Napoléon la maintient en France ; après les traités de Paris et de Vienne, le gouvernement prussien la maintient en Prusse.
De guerre en guerre, l’institution s’est aggravée : comme une contagion elle s’est propagée d’État en État[9] ; à présent elle a gagné toute l’Europe continentale, et elle y règne avec le compagnon naturel qui toujours la précède ou la suit, avec son frère jumeau, avec le suffrage universel, chacun des deux plus ou moins produit au jour et tirant après soi l’autre, plus ou moins incomplet ou déguisé, tous les deux conducteurs ou régulateurs aveugles et formidables de l’histoire future, l’un mettant dans les mains de chaque adulte un bulletin de vote, l’autre mettant sur le dos de chaque adulte un sac de soldat : avec quelles promesses de massacre et de banqueroute pour le XXe·siècle, avec quelle exaspération des rancunes et des défiances internationales, avec quelle déperdition du travail humain, par quelle perversion des découvertes productives, par quel recul vers les formes inférieures et malsaines des vieilles sociétés militantes (…), nous le savons et de reste. » (éd. in-16, t. X, p. 120-123)
Et donc ? Calmé ?
Retour du chien Davos au vomi bonapartiste
Car dans ce domaine – tirer, du fumier bien mûr du 2e Occident (« Ancien régime »), la jeune pousse du 3e Occident –, en effet, on peut dire que Napoléon a fait des merveilles : l’Occident terminal émerge de sa gouvernance avec des traits si définitifs qu’en lisant l’histoire du Directoire et de l’Empire, on a souvent l’impression d’être plus proche de 2020 qu’on a pu l’être à bien des moments du XXe siècle. Principal vulgarisateur français de Hegel (qui voyait dans la bataille d’Iéna la fin de l’Histoire), Alexandre Kojève aurait donc eu raison, lorsqu’il nous expliquait que – en dépit du Chemin des Dames, de la Révolution d’Octobre et de Stalingrad – tout ce qui a séparé cette date de 1806 de son époque[10] et de la nôtre n’a été qu’un mopping-up – qu’une sorte de postface à un drame déjà parvenu à son dénouement ?
Il y a dix ans, Douguine nous expliquait encore qu’en 1991, après élimination de la « 2ième théorie politique » (du communisme) – complétant au bout de 46 ans le travail de ceux qui avaient achevé la « 3ième théorie » (le fascisme) en 1945 –, la « 1ière théorie » (« le libéralisme ») s’était retrouvée « seule sur scène ». Il a ensuite fallu moins de 30 ans à ce « libéralisme » resté « seul sur scène » pour devenir aussi totalitaire que ses alternatives « de gauche » et « de droite » placées sur des voies de garage dans le courant du XXe siècle – et cela aussi (cette dérive totalitaire du « libéralisme »), Douguine l’avait prévue.
Mais est-il vraiment besoin du talent visionnaire d’un Kojève ou d’un Douguine pour prévoir que la sénilité répète les idiosyncrasies de la petite enfance ? Regroupé en directoire autour du Premier Consul Schwab, l’Occident terminal reprend – sans surprise – le programme (tout au plus affublé de quelques gadgets additionnels pour technolâtres) du grand-réinitialisateur Buonaparte. Issu de l’armée, et assez habile dans l’art de faire fructifier dans l’arène politique des succès militaires réels ou gonflés, ce dernier devait en effet la conquête du pouvoir civil, avant tout, à sa compréhension des flux financiers, et de l’importance primordiale de l’argent comme moteur exclusif de l’évolution d’une société sécularisée. Finalement, il y avait bien une sorte de WEF avant la lettre dans ce groupe de banquiers suisses qui l’entourent dès avant l’époque du Directoire, et à qui le « mérite » du projet « Empire napoléonien » revient tout autant qu’au petit corse.
Le Bonapartisme comme Empire de la Santé publique
Alors, bien entendu, si vous en êtes resté aux fadaises colportées par l’historiographie agréée par l’Education nationale, peut-être que vous ne voyez toujours pas de quoi que veux parler : fiscalité, conscription… tout cela reste peut-être fort abstrait. C’est que vous avez besoin d’un booster conceptuel.