L'Art d'être hongrois (6): La langue hongroise
Pour la être hongrois, il faut la parler. Et vice-versa.
« S’il n’existait pas de belle langue hongroise, il faudrait que j’aboie comme un chien. »
Sagesse populaire hongroise, recueillie par l’auteur au cours d’une beuverie dont la géolocalisation s’est effacée.
On peut tourner assez longtemps autour de ce pot-là. Et certains ne s’en privent pas.
Mais bon, le fait est. Que, venant par ici, vous descendiez les pentes enneigées des Tatras, équipé – outre vos bâtons de marche et gourdes thermos – de rudiments de russe et/ou de polonais ; que vous remontiez vers nous les riantes vallées de la Valachie, parlant tout le roumain que votre italien vous permet de comprendre ; ou que, fort classiquement, vous descendiez la vallée du Danube à bord de votre panzer, avec un Niblungenlied et une anthologie de Hölderlin dans votre paquetage : l’entrée en Hongrie, c’est le moment où vous commencez à ne plus rien comprendre à rien.
Avant même l’intervention de prédateurs opportunistes comme la géographie, l’ethnographie ou la science politique, la Hongrie, comme réalité herméneutique provocatrice d’accidents routiers, s’impose à vous sous la forme de panneaux surchargés de polysyllabes ininterprétables : Hegyeshalom, Püspökladány, Berettyóújfalu.
S’attendant à une invasion des Allemands de l’OTAN, les Serbes auraient, à un moment de la dernière guerre, fait disparaître tous les panneaux de signalisation routière du pays. Si des colonnes de blindés occidentaux avaient eu la mauvaise idée de venir consolider sur le terrain les acquis de la guerre de lâches que l’OTAN menait depuis le ciel à ce peuple héroïque – la géolocalisation, dans les années 1990, restant assez balbutiante –, elles se seraient vite retrouvées à tourner en rond dans la plaine de Serbie, dans la terreur du soir qui tombe et des partisans en embuscade.
C’est le genre de stratagèmes auxquels les Hongrois – à supposer qu’ils eussent jamais envisagé sérieusement de défendre l’indéfendable territoire de la Hongrie post-Trianon – n’auraient jamais eu besoin de recourir : la toponymie hongroise étant illisible pour les non-Hongrois, un panneau en hongrois conservé – de par les accidents que risquent de provoquer les tentatives de lecture au volant – gêne davantage l’ennemi qu’un panneau arraché.
Et là, instinctivement, on comprend tout de suite que personne n’aime tellement ces gens-là – et pourquoi. Et, du même coup, on subodore déjà que l’amour des autres peuples doit assez peu compter pour eux – intéressés qu’ils sont, tout au plus, par le constat faussement désolé de l’absence dudit amour, carburant idéal du moteur auto-compassionnel (dont le comburant est la passion de se plaindre).
Sur l’anatomie si particulière de cette langue de tarés, mon prédécesseur Sauvageot a dit le plus gros de ce qu’il convient de savoir, dans son Esquisse de la Langue Hongroise, à laquelle le lecteur sera donc renvoyé.