Vers la Terreur internationale ?
Réflexions d’un Ibn Khaldoun blanc sur la tombe de Kissinger
A partir du moment où j’ai dégagé le concept d’Occident pigmenté, la question suivante (la plus épineuse, en tout cas) sera naturellement de déterminer dans quelle mesure les règles évolutives dialectiques observées et théorisées à partir de l’histoire de l’Occident historique pourront s’appliquer à un Occident global constitué de l’amalgame hypothétique « Occident historique + Occident pigmenté ».
Et notamment : dans la mesure où on peut assimiler le naufrage[1] de l’hégémonie américaine (au profit d’un ordre multipolaire) à la décollation du Roi de droit divin et à la proclamation d’une république des Etats du monde, dans quelle mesure ce processus révolutionnaire doit-il reproduire les moments dialectiques de la Révolution française (c’est-à-dire de la fondation du 3e Occident) ?
Le changement d’échelle, aussi bien que l’entrée en scène d’acteurs (les masses du Tiers-monde) dénués de tout background culturel occidental antérieur à la colonisation[2], pourraient inciter à en douter.
Je crois néanmoins que la modélisation d’un tel scénario devrait constituer une expérience de pensée pour le moins intéressante.
Pourquoi faut-il guillotiner en masse une fois qu’on a guillotiné Louis XVI ?
Jouvenel[3] faisait remarquer que, tout en construisant sur des fondations rousseauistes, la pensée de Hegel introduit un bond qualitatif dans les rapports conceptuels entre Etat et Société – cristallisation doctrinale d’une évolution culturelle menant de la conception encore principalement nominaliste (donc finalement protestante) de la Société qui domine la pensée des Lumières à la conception réaliste[4] (donc essentiellement (post-)catholique[5]) qui dominera le 3e Occident : « la Société » cesse d’être conçue comme un être de raison, une commodité lexicale permettant in abstracto de renvoyer à un groupe égal à la somme des individus qui le composent – pour devenir un être synthétique, un advenant-dans-l’Histoire dont le sens peut donc être déterminé par généralisation non-consensuelle des représentations de sa partie consciente (« élite du Prolétariat », « élite du Volk », etc.).
Jouvenel néglige certes de souligner[6] que cette évolution a été rendue objectivement nécessaire par la décollation de Louis XVI : à l’époque des Lumières prérévolutionnaires, donc tant que la structure (monarchique héréditaire) du 2e Occident reste officiellement fonctionnelle, la société civile peut rester cette république des lettres dont se moquera plus tard Hegel[7], pour la simple raison qu’aucun Etat n’a absolument besoin d’elle pour rester gouvernable. Elle reste à tout moment débranchable[8], le souverain schmittien de dernière instance[9] étant le roi héréditaire oint.
C’est à partir de l’abolition du principe monarchique et du principe aristocratique que, d’une part, la constitution du gouvernement devient strictement dépendante de l’interprétation officiellement donnée de la Vox Populi, et que, d’autre part (comme le remarque bien Jouvenel), plus rien ne peut brider les appétits de pouvoir de la roture, qui viennent s’ajouter à ceux des gens bien nés. En d’autres termes : la Terreur devient nécessaire – chose que Hegel a d’ailleurs théorisée, sur un ton d’une tranquillité évoquant celle des tueurs en série préméditant un assassinat de masse.
2020 : L’édit de Nantes, enfin révoqué pour de bon
On peut voir dans la tradition constitutionnaliste des démocraties occidentales un élément de permanence – même dans les systèmes politiques du monde continental/catholique – du filon nominaliste dont parle Jouvenel. Auquel cas il faudra en conclure que le Putsch juridique de mars 2020 a marqué la condamnation finale de ce filon : l’appareillage médiatique de la ploutocratie s’est alors officiellement substitué aux assemblées constituantes théoriquement seules habilitées à remettre en cause des principes telles que la liberté de circulation au sein d’un Etat donné, etc..
Le Putsch a d’ailleurs été mené selon la logique schmittienne (de chantage à la vie et à la mort) qui avait déjà inspiré l’irrépressible dérive menant, au moment de la Révolution française, de la contestation sociale à la guerre d’invasion. En ce sens, le « Nous sommes en guerre » d’E. Macron en 2020 répond très exactement à la « Patrie en danger » du 11 juillet 1792.
Bien sûr, rien ne se répète à l’identique : la répétition, au bout de 220 ans, des mêmes thèmes s’applique à un tout autre terreau socio-culturel. A la fin du XVIIIième siècle français comme dans les années 1930 de la Russie stalinienne[10], la Terreur affecte surtout cette bourgeoisie (au sens étymologique d’élite urbaine) seule appelée[11] à prêter son corps à la fiction de l’incarnation de la souveraineté étatique[12]. D’où l’importance d’élaguer ce corps, de le scarifier, de l’amener par le fer et le feu à la pureté de « la conscience ».
En Europe de l’Ouest, 220 ans plus tard, moyennant le suffrage universel, la scolarisation universelle, puis la tertiarisation etc., c’est le corps national tout entier qu’il faut soumettre au même programme disciplinaire dur : marquage, QR-codes, assignation à domicile et matraquage des « délinquants ».
Mais l’objectif reste bien le même : c’est l’universel concret qui doit sortir de ce feu purificateur, comme Napoléon passant à cheval devant Iéna, sous les yeux émerveillés de Hegel. Quitte à ce que, ce coup-ci, on en confie la garde à une IA – qui sera naturellement, dans ses décisions, aussi indépendante des cotisants du WEF de Schwab que l’était Napoléon lui-même des financiers (notamment suisses) qui avaient, dès l’époque du Directoire, rendu possible son ascension.
Combien de comités de salut public aura-t-il fallu pour en arriver au Conseil sanitaire ? En bout de course, en tout cas, il devient inutile de faire rouler des têtes : le nudge suffit, étant donné qu’entre-temps, l’idéal démocratique moderne a effectivement été réalisé[13] dans le Spectacle : tous piqués, tous protégés.