Vicissitudes d’un terme
C’est un de ces mots qui définissent d’autant mieux une époque – la nôtre – que, dans le courant même de cette époque, personne ne semble avoir été capable de vraiment les définir. A croire qu’il en va des modes lexicales comme des stratégies : on ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens.
« Dénoncer la Caste », c’est d’autant plus pratique que – en-dehors, peut-être, de certains électeurs Macron de premier tour – tout le monde la déteste, alors même que personne ou presque ne se risquerait à dire avec exactitude de qui il s’agit. Les antisémites plus ou moins courageux y trouvent (aux côtés de « mondialistes » et « sionistes ») un nouveau vocable de substitution leur permettant d’éviter l’usage des mots qui envoient à la 17e Chambre1. Et pourtant, il est assez facile de se rendre compte que la Caste est aussi multiconfessionnelle que multi-ethnique, et qu’au sein de la Caste, B. Netanyahou, par exemple, n’a pas que des amis. – Qu’importe, on s’en sortira via les raccourcis habituels : la maçonnerie comme « synagogue de Satan », etc.. Equipé d’un marteau, l’essentialisme transformera l’univers entier en une collection de clous dûment kasherisés.
En France, en 2023, à part Nicolas Bouzou et quelques autres journalistes-non-chômeurs exerçant non sans profit certains des plus vieux métiers du monde, tout le monde abhorre et « dénonce » (autre mot d’époque) la Caste. Tant qu’il n’est question que de la France, on l’identifie volontiers à la Macronie – tout en concédant, en général, assez facilement que cette Macronie se décline en Macronie centrale (Renaissance et pseudopodes PS/EELV/LR) et Macronie étendue (avec le plus gros de la NUPES, le RN et Renaissance). Mais tout le monde a bien conscience, en même temps,
· du fait que cette élite parisienne n’est que la représentation hexagonale d’une élite internationale (d’un réseau dont on identifie désormais sans trop se faire prier certains nœuds : à Bruxelles, à Washington, voire – pour les plus courageux – à Davos)2, mais aussi
· de la disparité interne de ladite Caste, où se côtoient de toute évidence, d’une part, une populeuse valetaille de mercenaires politico-médiatique3, et, d’autre part, la classe politique mercenaire et les darons – lesquels, non contents de représenter la Caste, l’incarnent.
Les darons du mondialisme : l’aristocratie milliardaire
On se retrouve donc confronté à un appareil international organisé en au moins trois niveaux – mais dans lequel seul le statut du niveau intermédiaire (celui des prétoriens de rang 1) semble réellement incertain : le statut des Trudeau, des Macron et des Zelensky, « sortis du rang », et dont on ne sait jamais exactement s’ils sont déjà des made men4 – rendus intouchables, sanctuarisés par leur intégration à la Caste des darons – ou de simples affranchis, encore sacrifiables en cas de crise majeure. Sans que personne (ou presque) n’ose réellement se l’avouer, c’est ce type d’incertitude qui incite à surveiller avec une attention plus soutenue, ces jours-ci, le sort de l’acteur parvenu V. Zelensky.
En tout état de cause, ce que tous les darons ont en commun, c’est d’être milliardaires. De ce point de vue, dans les termes de Guy Debord, la structure de la Caste en 2023 reflète la victoire en rase campagne du spectacle diffus (« libéral ») sur le spectacle concentré (« totalitaire ») : même si certains darons du sommet de la pyramide – notamment en Chine – restent intégrés à des structures hiérarchiques étatiques néostaliniennes, le temps des maîtres du monde (comme Staline) qui, tout en ayant droit de vie et de mort sur tous les sujets d’un empire entier, possèdent en banque l’équivalent d’un salaire mensuel de Pujadas – ce temps-là est bel et bien révolu.
Il serait, pour autant, téméraire de supposer, parmi les darons, une stricte proportionnalité entre fortune et influence politique. Et c’est même la volonté (largement inconsciente) de ne pas laisser les continuum désaccordés des fortunes et des pouvoirs déboucher sur une rivalité chaotique qui inspire très probablement la syndication (organisée ou implicite) desdits darons : comme toujours, la culture trace des lignes dans le sable, permettant de définir des ensemble plus ou moins distincts là où la nature ne connaît que du plus et du moins.
En tant que syndication des milliardaires, la Caste constitue donc, d’une certaine façon, le couronnement de l’Homo economicus comme produit final de la Culture occidentale5 (désormais en indivision entre Occident historique et Occident pigmenté). Ce qui pourrait facilement nous inciter à la « lire » à travers un prisme marxien, un peu comme une classe sociale.