L’APRES-KØVÍD Ecrits de 2022-23 (6)
Entre Hegel et Schwab - chap. 5: De l’art de passer au rouge-brun : anticipations du mopping-up du Great Reset
De Iéna au Confinement : de la Phénoménologie de l’Esprit à Køvíd
Soigneusement rééduqué par et à la technocratie, l’homme moderne assimile volontiers la dynamique de l’Histoire à une évolution des méthodologies décisionnaires[1]. Or, quelle que puisse être l’importance réelle (pas du tout imaginaire) de la question du sujet politique, donc de la définition du souverain[2], une considération à froid de l’Histoire telle qu’elle a réellement eu lieu nous amène souvent à déclasser cette question, qui, sans jamais devenir réellement secondaire, apparaît bien souvent comme subordonnée.
Ainsi, le Hegel de 1802, tout en pensant déjà, pour l’essentiel, ce qu’il pensera en 1806 (au moment de l’écriture de la Phénoménologie), se déclarait encore prêt à accepter le principe « féodal » d’une division de la société en états (prêtrise, noblesse et tiers-état)[3], et à justifier philosophiquement les privilèges de la noblesse d’épée. Peut-être cherche-t-il à voler sous le radar d’une censure prussienne parfois féroce ? C’est possible. Mais on peut aussi se demander dans quelle mesure ce sujet[4] l’intéresse vraiment. Que les gueux aient ou non leurs propres députés, aux côtés de ceux de la noblesse, dans ces assemblées de toute façon déjà acquises à l’évangile du progrès… Son thème, à lui, c’est celui qui, en passant par Nietzche et Heidegger, occupera toute la métaphysique allemande subséquente, jusqu’à extinction : la mort de Dieu, la finitude, « l’être-pour-la-mort »[5].
En 1806, en revanche, il a déjà intégré les leçons de l’Immanence – en l’occurrence : le fait, démontré par les conquêtes napoléoniennes, de la supériorité du modèle de l’armée de conscription, base physique de la défaite du 2e Occident (monarchique, ou encore « westphalien ») face aux forces qui allaient accoucher du 3e Occident – celui de l’« ouvrier-soldat », pour citer Hegel lui-même. Mais les mots en disent long : en appelant « ouvrier-soldat » (et non « citoyen-soldat ») ce citoyen du 3e Occident, Hegel montre bien que, dans sa vision des choses, le fait essentiel n’est pas celui du mode de suffrage, mais celui « du Travail et de la Lutte »[6]. Le suffrage universel, loin d’être un principe absolu, est donc clairement perçu comme la conséquence d’évolutions « socio-culturelles », c’est-à-dire anthropologiques[7], elles-mêmes reflétées par des évolutions métaphysiques[8].
De même, lorsque, début 2021, j’ai écrit le Magicien de Davos, qui commente cette bataille d’Iéna de clôture du 3e Occident qu’a été le « premier confinement »[9], et le libretto de cette bataille que nous devons au chef d’orchestre Schwab, je n’avais, à vrai dire, pas encore conscience des implications « technico-politiques » de l’événement, et notamment de la disqualification à long terme dudit suffrage universel. C’est, là aussi, l’Immanence qui dicte les « paragraphes suivants »[10] : contrairement à mes prévisions de publiciste de l’an 2020, hors quelques régimes fragiles de la périphérie occidentale (Monténégro, Moldavie[11]…), les échéances électorales ultérieures à mars 2020 ne conduisent pas à la chute des gouvernements covidistes ; on assiste même (Suisse, Autriche, Allemagne) à une consolidation du centre davosien, amenant, certes, au retrait de quelques leaders davosiens très en vue (Kurz, Merkel), mais uniquement pour conduire à la formation de gouvernements encore plus cohérents dans la poursuite de l’agenda covidiste et transhumaniste des « Khmers verts ». Certes, les nouveaux pouvoirs (dont celui de Macron2) semblent partout plus fragiles que ceux qu’ils ont remplacés – mais leur opposition (les Salvini, Le Pen etc.), généralement lâche et/ou cooptée, se pose plutôt en concurrent dans le cadre du même agenda qu’en adversaire disposé à « renverser la table ».
“Au bout de 10 jours d’auto-isolement dans le mensonge, Salvini est enfin négatif: il représente désormais la démocratie asymptomatique.”
Les éléments les plus éloquents de cette évolution ont, dans ce contexte, été :
*L’accentuation d’une tendance lourde préexistante de désertion des urnes, et
*Le fait que l’opposition sociale au covidisme (pour autant qu’elle soit mesurable) ne s’est globalement pas traduite par une opposition politique : que les opposants plus ou moins déclarés, plus ou moins actifs, au putsch oligarchique aient constitué une minorité en chiffres absolus (comme toute avant-garde) n’aurait pas été troublant en soi – bien plus intrigant est le fait que même cette minorité n’est pas parvenue à se regrouper de façon significative au sein des rares mouvements politiques assumant ouvertement un agenda anti-Davos.
Le peuple se trahit très bien tout seul
En d’autres termes : le suffrage universel a globalement validé cette abolition de facto des constitutions civiques qui a constitué la nouveauté juridique radicale de mars 2020. Or ce constat invalide le plus gros de la pensée « dissidente » du début du XXIe siècle, qui, en observant la dérive oligarchique, en tirait une critique acerbe du parlementarisme censé la rendre possible, mais sans remettre en cause (bien au contraire) l’idéologie de la souveraineté, c’est-à-dire du Peuple considéré comme totalité organique substantielle dont le « versant formel » serait l’Etat.
En d’autres termes : la dissidence pré-covidienne (dont j’ai fait partie) constatait le dysfonctionnement terminal du 3e Occident, mais tout ce qu’elle parvenait à en tirer, conceptuellement, c’était une nostalgie assez infantile de feu le 2e Occident, qu’elle s’imaginait pouvoir ressusciter – biologiquement pour les plus radicaux (en ramenant au pouvoir les dynasties de l’avant-1789), symboliquement pour les autres. De façon plutôt tacite en général, on partait du principe qu’il devrait être possible de repasser de la démocratie (parlementaire) à la souveraineté (de l’Etat en régime de monarchie absolutiste), et que cette salutaire restauration permettrait d’enrayer la dérive oligarchique : hypothèse particulièrement ridicule en France, où (à la différence du reste de l’Europe de l’Ouest) la régression du parlementarisme – entamée dès le retour de De Gaulle aux affaires – n’a pas attendu le Great Reset pour s’enclencher, et où ce retour en force du régalisme n’a fait qu’accélérer le processus d’évidage de la représentation démocratique et de prise de contrôle par la Caste oligarchique.
L’approche nostalgique étant représentée aussi dans l’immanence de l’histoire occidentale des deux derniers siècles[12], l’invalidation a posteriori de cette thèse par les élections et les référendums (dont deux votations suisses post-Covid) a d’ailleurs été précédée par une invalidation a priori : alors même que la dissidence pré-covidienne considérait les régimes pseudo-autocratiques solidifiés en Hongrie et Russie au cours des premières décennies du XXIe siècle comme des réalisations effectives de ses propres rêves nostalgiques[13], elle a dû constater[14] à partir de 2020 que les régimes plébiscitaires de V. Orbán et de V. Poutine ne résistaient pas mieux au covidisme (et plus généralement à l’idéologie schwabienne) que la démocratie cantonale suisse.
Si bien que, face à la seringue l’A. Gintsburg[15], l’extrême-droite adoratrice de Carl Schmitt s’est révélée être une nième SA en pleine préparation enthousiaste et fébrile de sa propre Nuit des longs couteaux.
Ce procès est-il, au demeurant, seulement celui des « mouvements antisystème » occidentaux des premières décennies du XXIe siècle ? Bien sûr que non.
Comme toujours, c’est vers l’excentrique et téméraire Russie qu’il faut se tourner pour voir agir, pour ainsi dire, à l’état libre des particules culturelles dont le mille-feuille crémeux de la vieille Europe embrouille le mouvement spécifique : en effet, la critique interne, donc historiquement myope, du 3e Occident y avait, dans le Moscou des années 1990, culminé dans le mouvement national-bolchévique, probablement la plus célèbre des synthèses rouges-brunes apparues à partir de la fin (et même déjà de l’alanguissement) de la Guerre froide.
Or une telle synthèse était bien prévisible, communisme et fascisme étant[16] les deux anticorps spécifiques générés par la tumeur de 1789, et dont la production ne pouvait donc que redémarrer à partir de 1991 – c’est-à-dire du moment où, pour reprendre l’expression d’A. Douguine, le libéralisme se retrouve (on pourrait ajouter ici : à nouveau) « seul sur scène ».
La « pensée dissidente » du début du XXIe siècle ne fait donc que synthétiser (en s’imaginant à chaque fois avoir trouvé son Graal) les ragots cumulés de tous les mécontents du statu quo post-Iéna. Mais, en bonne logique, ces agents de dissolution (« rouge » et « brun ») ne pouvaient qu’accélérer la marche de l’organisme sécréteur vers son destin biologique, qui était mars 2020. Klaus Schwab est d’ailleurs lui-même, par sa vie autant que par sa pensée, un bon exemple de synthèse rouge-brune.
Du point de vue de l’avenir, c’est-à-dire du post-Occident, ce naufrage des illusions de la vieille dissidence – dont les mantras sécuritaires, pseudo-subversifs, ont fini par se dissoudre dans la rhétorique oligarchique la plus pure[17] – est d’ailleurs une bonne nouvelle, dans la mesure où il fait place nette et ouvre des possibilités de prise de conscience et de structuration à la nouvelle dissidence, c’est-à-dire à ceux qui s’efforcent, non pas de réformer un passé auto-condamné, mais de s’assurer un avenir par-delà la sépulture bien méritée dudit passé.
Davos : de victoire en victoire, jusqu’à la défaite totale
Parachevant l’œuvre d’une série de monarques souverainistes, Louis XIV avait fait définitivement accepter la tête du roi comme incarnant à elle seule le principe aristocratique. C’est cette réussite que son descendant Louis XVI a payée de sa tête à lui : aussitôt un consensus formé autour de l’abrogation de l’Ancien régime[18], cette tête devait rouler.
De même, l’argument-massue de l’oligarchie post-1945 (« antifasciste »), qui a réussi à dresser la démocratie de papier (la République) contre la démocratie de fait (le Populisme) au moyen du mantra « Hitler 1933 », finira par se retourner contre elle, en annulant la légitimité de ses propres pantins[19].
Les tentatives d’assassinat sur chefs d’Etats démocratiques se font, tout comme le vote, de plus en plus rares, parce que c’est l’autorité de l’Etat lui-même dont la notion, peu à peu, disparaît. Et l’utopie oligarchique de la surveillance totale (incomparablement plus couteuse – à supposer qu’elle soit même possible – que même le plus lourd des systèmes répressifs à l’ancienne) n’est qu’une réaction de poule décapitée à cette réalité tectonique de la culture occidentale actuelle.
Comme à chacune de ses époques définitoires, la thèse du mainstream idéologique occidental ne capote pas faute de réussir suffisamment, mais à force de trop bien fonctionner.
En effet, après le basculement du Spectacle dans le délire au printemps 2020, on imagine de plus en plus mal un (groupe d’)homme(s) libre(s) se résignant à confier aveuglément sa vie à l’opinion d’une majorité démocratique, quelles que soient les garanties « constitutionnelles » (toutes violées au printemps 2020) dont on assortira le plébiscite. Et c’est ainsi qu’au constitutionalisme de papier (devenu forme sans fond longtemps avant mars 2020), on va voir succéder un constitutionalisme de sang, qui réagira sous forme de guerres préventives à toutes les tentatives, même admirablement démocratiques, de rendre vulnérable la liberté individuelle.
La disparition (par suicide culturel) des libéraux ne va donc pas affirmer l’autorité de l’Etat (dont leur existence était, en réalité, la caution), mais généraliser une attitude libertarienne ; aux débats entre « démocratie directe », « décentralisation » et « tirage au sort », on voit d’ores et déjà succéder des discussions structurellement différentes dans leur forme, et portant sur des contenus, eux aussi, totalement différents : armes, cryptos, autonomie matérielle, sécession.
Faudra-t-il jouer les prolongations ?
On peut au demeurant légitimement se demander si ceux qui parlent de « sécession » ne sont pas en avance sur leur temps : même si leurs propres thèmes ne sont pas d’hier (toute idée a une généalogie), l’évolution culturelle générale qui connaît actuellement son apex (en direction d’une nouvelle contestation libertarienne), ayant commencé plusieurs décennies avant mars 2020, mettra peut-être encore plusieurs décennies à accoucher d’une culture à nouveau homogène, post-occidentale.
Et les spasmes qui précéderont cette dormition définitive de l’Occident pourraient bien, comme c’est souvent le cas, présenter un caractère réactionnaire très marqué : comme je l’ai déjà dit et écrit, la possibilité d’une dernière période intensivement « rouge-brune », qu’elle advienne de la main de l’oligarchie actuelle ou (plus probablement) à ses dépens, ne devrait pas être sous-estimée.
Mais cette dernière période, tôt ou tard[20], finira bien par prendre fin, et pourra alors certainement, par rapport à la charnière de 2020-2022 (charnière objective du Confinement, trouvant son pendant subjectif dans Køvíd), être décrite, par tel ou tel philosophe post-schwartzien de l’an 2050, comme l’âge du mopping-up post-occidental[21] – tout comme l’hégélien Kojève décrivait la période 1806-1945 comme celle du mopping-up suivant la « fin de l’Histoire » constatée par Hegel en 1806[22].
Quoi qu’il en soit, ces nouveaux accents, ces discours sur la Sécession, ce sont là, dirait Ibn Khaldoun, les contours d’une as’abiya qui se chercherait encore sa da’wa – ou, en termes hégéliens[23], d’une identité (Insichsein) encore en mal de négativité (Fürsichsein), d’un mouvement réel à qui, en tant qu’Histoire humaine, manque encore la dimension de la conscience de soi. Køvíd (complété par le présent ouvrage) est la première pierre de fondation apportée à l’édifice de cette totalité spéculative en voie d’émergence, la première réflexion préméditée cherchant à accompagner et à délimiter cette irrépressible immanence.
[1] Constat d’ailleurs tautologique dans la perspective d’un Douguine, qui n’a jamais cessé de rappeler que l’homme moderne se définit par la combinaison de la raison et de la volonté. Le fait qu’il soit en outre équipé, par exemple, d’un corps fait partie de ces détails que l’Occident, de façon programmatique, passe à la rubrique « pertes et profits » – tout comme la question de l’âme, officiellement évacuée à partir de 1789. En ce sens, en (re)mettant sur la table l’inconscient, S. Freud a effectivement été l’un des initiateurs de la postmodernité, donc du début de l’ère post-occidentale.
[2] Ce dernier pouvant être:
1) Soit un monarque : héréditaire ou électif ;
2) Soit un électorat : nobiliaire, censitaire ou « universel »
[3] Laquelle, dans l’Angleterre inspiratrice de toutes les réformes maçonniques, n’a d’ailleurs jamais été formellement abolie.
[4] Sujet qui deviendra ensuite central, et pour cause, dans la variante boy-scout de sa philosophie : le marxisme.
[5] Un thème qui (détail révélateur) apparaît, dans ses écrits de jeunesse, associé surtout à celui de l’Amour (« la mort des amants »), puis, à partir de la Phénoménologie, surtout à celui de l’Histoire. Dans le logiciel occidental, l’Amour est à l’Histoire ce que l’Individu est à l’Etat.
[6] Thème hégélien ensuite amplement repris par Marx, et plus tard par Kojève (qui se trouve au confluent des deux).
[7] Au sens, assez « technique », que Kojève donne à ce mot dans son commentaire de Hegel – mais finalement aussi au sens ordinaire…
[8] Même remarque que ci-dessus concernant l’adjectif « anthropologique ».
[9] La bataille d’Iéna à proprement parler en ayant été, dans la vision de Hegel, l’événement d’ouverture. Tel est du moins son statut dans la vision de Hegel, ou plutôt dans l’interprétation qu’en donne Køvíd – étant donné que, pour Hegel, qui ne prévoyait pas mars 2020, la bataille d’Iéna aurait dû être une conclusion finale.
[10] Lesquels paragraphes paraissent, quant à eux, dans Køvíd, Culture et Racines, 2022.
[11] Rejoints dans la fosse, plus d’un an après l’écriture de cet article, par le régime P.I.S. du grand covidiste Morawiecki en Pologne.
[12] Sous forme, notamment, de bonapartisme. En termes kojéviens, cela revient à dire que 1806 n’a finalement pas marqué le début de la post-Histoire « de l’humanité », mais seulement celui du mopping-up post-1806. Pour Hegel, ce n’est d’ailleurs pas (comme pour Fukuyama) la révolution démocratique, mais justement le bonapartisme qui amenait l’Histoire à son terme – perspective dans laquelle il faudrait plutôt traiter la démocratie parlementaire comme une sorte de maladie de jeunesse de « l’Etat universel et homogène » cher à Hegel, dont la forme achevée (atteinte dès le XIXe siècle par les Bonaparte, puis ravivée par De Gaulle après un siècle de parenthèse parlementariste) serait justement le totalitarisme impérial.
[13] Illusion dans laquelle lesdits régimes de l’Occident périphérique (en réalité parfaitement tributaires du modèle occidental) se sont d’ailleurs efforcés de conforter ladite dissidence, au moyens d’une propagande illibérale spécifique (d’après conçue pour répondre à leurs besoins de politique interne, mais dont on a vite découvert qu’elle exerçait un pouvoir d’attraction certain sur les esprits « antisystème » des sociétés de l’Occident historique).
[14] Pour la partie la plus lucide de ladite dissidence – le reste s’enfonçant depuis dans un déni de réalité dont les valences religieuses sont d’ailleurs des plus intéressantes.
[15] Antony Fauci du régime poutinien, Gintsburg revendique la paternité du sérum Spoutnik V, un clone d’Astra Zeneca (comme il l’a lui-même reconnu), au moins aussi toxique et dangereux que ce dernier, et que l’administration russe promeut auprès de sa population au moyen de méthodes de nudging pratiquement identiques à celles dont les philanthropes de chez McKinsey ont « conseillé » l’emploi aux gouvernements d’E. Macron. Sur le covidisme en Russie, cf. le blog (en anglais – mais certaines publications du blog sont traduits en français sur un blog-miroir) de l’excellent Edward Slavsquat, transfuge de la rédaction anglophone de Russia Today.
[16] Comme l’avait bien vu Douguine – dans une perspective d’ensemble qui n’est néanmoins pas tout à fait la mienne.
[17] Comme l’a exemplairement démontré le zèle covidistes extrême de grandes figures de la rhétorique identitaire/sécuritaire et islamophobe, d’Estrosi à Orbán et de Collard à Ménard et Salvini. Mais là aussi, gardons-nous de tout complotisme, et de toute adulation béate de la démocratie (deux attitudes identiques en profondeur), car tous ces politicards ne font que courtiser un électorat – lequel, à force de ne rien vouloir plus que d’être exponentiellement tous protégés, ne pouvait finir (et c’est de bonne guerre) que tous piqués.
[18] C’est-à-dire du système politique défini par la nature prioritairement théologique de l’interprétation du Bien Commun, dont il faisait par conséquent le privilège dynastique d’une ou plusieurs familles de monarques héréditaires oints. Ce système est remplacé, dans le 3e Occident, par l’équivalence Vox Populi = Vox Dei – idéologie chargée d’assurer la rationalisation de l’arrivée au pouvoir du binôme constitué par les partis politiques et leurs intellectuels organiques (chargés d’orienter et d’interpréter la Vox Populi).
[19] Rappelons à ce propos qu’E. Macron, à l’époque de son irrésistible ascension vers les cimes du pouvoir, a souvent été décrit comme un « populiste ». On objectera probablement qu’il incarne le « mauvais populisme », c’est-à-dire la démagogie prête à soumettre les jeunes à des mesures d’arrêt domiciliaire arbitraire sous prétexte que la presse de Davos a réussi à convaincre une majorité de boomers de l’identité de la grippe et de la peste noire. Le « bon populisme » étant, quant à lui, censé représenter légitimement les intérêts du sacro-saint Peuple – à ceci près que l’objectivité statistique est aussi impitoyable pour les « évidences » sécuritaires de la démagogie de marque Orbán/Zemmour que pour les « évidences » virologiques fournies par les divers collaborateurs du cabinet McKinsey : il y a autant de migrants musulmans attirés par la Hongrie que de « malades asymptomatiques ». Le sacro-saint peuple, c’est toujours la masse d’idiots manipulés à laquelle on n’a pas conscience d’appartenir.
[20] Et plutôt tôt que tard, pour des raisons, notamment, démographiques – que je commente dans le premier tome de ma trilogie, intitulé YIN (Culture & Racines, 2020).
[21] Sur ce concept de mopping-up, cf. Chap. 2.
[22] Et qui, de mon point de vue, n’était que la fin officielle du « 2e Occident » (monarchique), et l’ouverture officielle de ce « 3e Occident » (démocratique) qui a pris fin en mars 2020.
[23] Ou pseudo-hégéliens, ou d’un hégélianisme hérétique, dans la mesure où Hegel n’aurait jamais admis le principe du relativisme culturel spenglerien (qui est aussi le mien) : pour lui, il n’y avait d’histoire que l’Histoire, qui est nécessairement celle de l’Humanité (ou encore celle de l’Esprit, qui n’est autre la totalité dialectique de l’histoire humaine tout entière en tant qu’histoire finie, dotée d’un début et d’une fin concrets). Que cette « humanité » n’est en réalité que l’Occident, c’est (sur les traces de Spengler), l’un des thèmes (à la fois axiome et résultat) de Køvíd.