Ausländer Raus ! ou le succès catastrophique du féminisme
La campagne de Russie des Femmes blanches
Qu’est-ce qu’un succès catastrophique ?
Dans les études stratégiques, le concept de succès catastrophique est une notion bien connue et bien définie, qui désigne le moment où un acteur (notamment militaire), ayant sous-estimé ses propres forces ou surestimé la résistance ennemie, obtient une victoire dont l’ampleur devient, dès le lendemain, ingérable pour lui1. C’est en général par ce genre de succès que commencent, traditionnellement, les campagnes de Russie des empereurs européens, trompés par la perspective, car, sur les étendues interminables de la Russie, avancer ne signifie pas, comme sur les plaines européennes, gagner – c’est-à-dire atteindre un but ; avancer signifie seulement : s’épuiser.
Mais tentons d’aller jusqu’au bout de cette idée – qui nous fournira, pour la suite de ces réflexions, une analogie précieuse.
Le début de cette funeste habitude des campagnes de Russie remonte, comme on le sait, pour l’essentiel, à Napoléon 1er, qui incarnait aux yeux de Hegel la réalisation de l’Etat homogène et universel (post-révolutionnaire) : de ce que j’appelle, moi, le 3e Occident – l’Occident démocratique des Etats-nations.
Ainsi, ces campagnes, par leur simple existence, dénoncent l’illusion de l’ordre westphalien – auquel celle de Napoléon 1er a d’ailleurs, concrètement, mis fin : on peut toujours faire semblant de croire que l’Europe est un jeu à somme nulle, alors qu’elle est le finisterre minuscule du plus grand des continents de la Planète. Mais le réel finit toujours pas vous rattraper. Et vous rattrape d’autant plus facilement que vous le niez : de ses succès centre-européens (face à des peuples germaniques et germanisés lassés de leur ancien régime et qui l’accueillaient – au début du moins – en libérateur), Napoléon avait « déduit » qu’il pouvait répéter l’expérience en Russie – où, cependant, même l’ancien régime n’existait que dans ce village Potemkine que les Russes, depuis Pierre le Grand, dressent sur le passage de leurs hôtes occidentaux : derrière ce trompe-l’œil, il y avait le despotisme asiatique, le servage, et une culture populaire entièrement réduite au catéchisme orthodoxe. Il atteint donc Moscou, où il n’est pas accueilli en libérateur. Et brûle donc Moscou. Et, à force de tout brûler sur son passage, quand vient l’hiver, il ne sait pas où le passer au chaud.
Aux paysans russes, les popes orthodoxes expliquaient – dans la meilleure tradition du christianisme (non-catholique, et non-augustinien) du premier millénaire – que, le monde étant le fief de Satan, il vaut mieux se soumettre aux souverains de facto de la Terre, les miteux ayant toujours plus à perdre aux révolutions qu’à la stabilité. C’est ce que les propagandistes de Poutine expliquaient encore, il y a trois mois, aux « citoyens » (comprendre : miteux) russes à la veille d’élections présidentielles dominées2 par un seul slogan : la stabilité.
Dans le monde catholique, depuis Augustin et surtout Thomas d’Aquin (De regno), on pense au contraire la légitimité du pouvoir révolutionnaire, qui aide la Vox Populi à faire entendre plus clairement la Vox Dei dans les affaires mondaines. Simplement, il se trouve que les humanistes qui ont inventé ce nouveau paradigme progressiste sont aussi les fondateurs de l’Inquisition. Une fois sécularisé3, ce pouvoir remplacera ladite Inquisition par des polices politiques. C’est ainsi que, depuis cinq siècles, l’Occident est le foyer international de la barbouzerie – domaine dans lequel, au cours du XXe siècle, les jeunes démocrates du monde pigmenté ont d’ailleurs fini par surpasser leur anciens maîtres coloniaux blancs.
Or Bonaparte a beau être l’héritier des incendiaires de la Bastille : pas de Napoléon sans Fouché. Tout occidental, tout catholique sait en réalité pertinemment, au plus profond de sa mauvaise conscience, que les popes orthodoxes ont raison. Et cela, choisir de l’ignorer, c’est s’exposer au succès catastrophique. Pour mesurer le degré de sincérité de sa propre population dans le cadre d’un despotisme plébiscitaire – rien de tel que d’aller occuper le pays d’un autre peuple, qui n’est pas travaillé au corps depuis des lustres par la police politique de l’occupant.
Le succès catastrophique est pratiquement toujours l’affleurement, à la surface de l’Histoire, d’une schizophrénie culturelle. En apparence, c’est le patient qui se précipite vers des lointains mal explorés. En profondeur, c’est le refoulé qui fait retour.
Ausländer Raus ! ou le wokisme du blanc non-culpabilisable
La viralité du phénomène Ausländer Raus ! s’explique probablement en grande partie par la capacité d’un meme de ce genre à passer sous les radars. Lesquels sont avant tout les radars du bon goût. Rien de vraiment nouveau, dans la vulgarité techno de cette chansonnette de hooligans, pour une bienpensance de gauche qui a de toute façon pris l’habitude d’assimiler les mouvements d’opinion anti-immigration au beaufisme4. Et rien de vraiment exaltant, non plus, pour les grands bourgeois5 qui cormaquent en général ces mouvements : on imagine bien que ces élites identitaires partouzent en général sur de la meilleure musique – comme il se doit quand on a la possibilité de pénétrer des femelles au niveau esthétique d’une Marion Maréchal, et non les pendulaires saxonnes dodues qui agitent leurs jambonneaux sur la petite musique d’Ausländer Raus !.
Or cette laideur (musicale, scénographique, voire linguistique) n’est pas un à-côté ou un sous-produit du phénomène. Elle lui est essentielle. Ausländer Raus ! est le cri de ralliement du wokisme des blancs conscients de l’être au sein du Panoptique oligarchique du mondialisme réalisé. Les féministes-tendance-Lesbos et bleuies du chef, et les afro-descendantes en surpoids, elles aussi, exigent toutes leurs réunions non-mixtes : elles ont, paradoxalement, poussé l’universalisme jusqu’au communautarisme : leur laideur, devenue souverainiste, exige son propre protectionnisme contre la concurrence « déloyale » (mais, à l’échelle des individus, quelle concurrence ne l’est pas ?) des poufiasses abonnées à la gym. Ausländer Raus !, de même, est le tout dernier précipité de la psychose déclenchée, il y a une décennie, par les « viols » de Cologne : c’est le cri d’une Europe des fragiles blanc(he)s, qui s’estime menacée par la violence pigmentée – à la différence, notamment, des électeurs d’E. Macron, très loin, quant à eux, de se sentir menacés par les myriades de nounous, de dealers, de larbins et de putes de tous les genres que le Grand Remplacement leur livre à des tarifs toujours plus compétitifs.
Les adeptes d’Ausländer Raus ! ont les goûts musicaux et les options politiques qu’ils peuvent se permettre. Et ce que leur multiplication en ligne dit à l’élite euromondialiste, c’est ce que Schwab et les siens lui expliquent de toute façon (« trilemme de Rodrik ») depuis des lustres : pour sauver la mondialisation, il faut en finir avec la démocratie – sous-entendu : avec la démocratie blanche, bien entendu (étant donné que la démocratie ne « pose de problème » ni en Arabie saoudite, ni en Chine – ni, en général, dans aucun de ces délicieux « Etats-nations » qui font aujourd’hui l’admiration d’un E. Todd.
Bien choisir son Hamas
En Europe de l’Ouest, les pro-Israël ne sont, dans l’immense majorité des cas, ni des « fanatiques religieux » comme dans le Bible-belt US, ni des post-occidentaux reconnaissant (comme Modeste Schwartz) au groupe israélien son droit à l’égoïsme collectif.
Il est même, du coup, abusif de les caractériser comme « pro-Israël », étant donné qu’ils ne connaissent pas – et ne veulent, à vrai dire, surtout pas connaître – la réalité de l’Israël des sionistes religieux, qu’ils fuiraient horrifiés au bout de trois mois en cas de tentative d’implantation.
Le boomeristan pro-Israël n’est, en effet, qu’un boomeristan anti-Hamas.