Juillet 2024 : Liquidation de la France et Triomphe de la Morale
Chronique d’un dépassement bien mérité
Le XXe siècle comme excursion par-delà le Bien et le Mal
Le XXe siècle a été le théâtre de l’épanouissement des deux formes préterminales du programme occidental1 : les totalitarismes soviétique et nazi.
Ces deux régimes ont tenté de répondre à la faillite spirituelle de l’universalisme bourgeois en définissant un sujet historique – au nom duquel et dans l’intérêt immédiat duquel les élites de Pouvoir soviétiques et nazies étaient censées gouverner. Ce sujet était, dans les deux cas, le Peuple (soviétique / allemand), saisi via une définition anti-élitaire / alter-élitaire : comme prolétariat (soviétique) ou comme race (aryenne) – donc, dans les deux cas, à l’exclusion (théorique) des oligarchies bourgeoises.
On sait bien par ailleurs que ces définitions ont plutôt été le cache-sexe de l’étatisation d’une partie des oligarchies économiques prérévolutionnaires, devenues élites d’Etat, « au service des » (comprendre : plaçant à leur service les) masses prolétaires/paysannes/chrétiennes qu’elles exploitaient précédemment à titre privé.
La structure idéologique occidentale ne permet en effet pas de se prémunir contre des oligarchies en tant que telles – c’est-à-dire en tant que phénomène prévisible et permanent (« naturel »), contre lequel une démocratie (de type antique : un régime des maîtres) se doit de prendre ses précautions, comme on sulfate la vigne : sans détestation métaphysique du mildiou, mais simplement parce qu’on veut du beau raisin sur son arpent.
La Dissidence francophone actuelle (en tant qu’arrière-garde rouge-brune) reproduit d’ailleurs ce handicap conceptuel : à ceux qui ont fini par comprendre2 de quoi Davos est le nom, elle enverra une A. Bilheran pour lui expliquer que ces gens-là sont des psychopathes (pseudo-conceptualisation féminine du Mal), ou un E. Todd pour les traiter (plus « philosophiquement ») de nihilistes – puisque leur religion est « zombie », et qu’ils ont le tort d’aller jusqu’au bout du processus que ses amis de Moscou et de Pékin viennent, eux, à peine d’entamer.
L’après-1945/1991 : par-delà le Volk et la classe
Né à la jonction de l’antifascisme et de l’antisoviétisme, l’antitotalitarisme, formé sur le segment 1956-68, est devenu culturellement hégémonique en Occident historique pendant les trois dernières décennies du XXe siècle.
Répudiant les sujets historiques définis par les totalitarismes (classe et Volk), il leur substitue un sujet abstrait : une « nation » réchauffée de 1789, qui ne peut pourtant plus être la bannière dont une roture enrichie a besoin pour se débarrasser des aristocraties d’ancien régime. Sous cette raison sociale dénuée de référence tangible dans le tissu socio-historique de l’Occident historique, c’est bien sûr (à compter de 1972 – avec accélération à partir de 1991) l’oligarchie kissingérienne qui prend de facto le relai.
Faute d’exister, ces nations d’après-guerre ne peuvent pas non plus avoir d’intérêts. En France, le discours de l’intérêt national (« La France aux Français ») est, à compter des années 1980, officiellement confié au clan Le Pen, à la fois garde-chiourme et liquidateur judiciaire de cette idéologie de fellahs, chargé de mener cette arrière-garde au charnier. C’est pourquoi – après élimination du prolétariat blanc, tertiarisé et remplacé – la respectabilisation du Parti Le Pen3 a bien entendu débouché sur l’abandon progressif de ce principe de l’intérêt national, donc par l’intégration dudit parti au sein du paradigme universaliste.
L’intérêt n’étant même plus nommable, on parlera donc de morale. La démocratie bourgeoise (« 1ère Théorie politique » pour Douguine) est, comme l’a bien vu Kojève, le régime du Juge. Et le débat de la campagne des législatives anticipées de 2024, en effet, le montre bien : on compare les tares et les vertus (« racisme », « antisémitisme » etc.) des Attal, Mélenchon, Bardella de service comme si la fonction briguée par ces derniers était celle d’un juge de paix4. C’est un concours d’universalisme – la qualité la plus recherchée étant cette neutralité qu’on attend (à juste titre) d’un juge, et qui, du point de vue d’une démocratie antique, aurait constitué le pire des vices pour un stratège.
Le triomphe des Valeurs : On 1 – Nous 0
Programmatiquement incapables de discrimination entre citoyens et métèques, ces candidats à la « représentation du peuple » ne sont donc, en réalité, appelés qu’à la représentation de « ses valeurs », c’est-à-dire de sa morale. Nanifié jusqu’à l’état de pouvoir d’achat5 – thème lui-même vite marginalisé par l’obsession antiraciste –, l’intérêt national n’a pas vraiment sa place dans la campagne, puisque :
*Aucun des partis susceptibles de gouverner ne remet en cause l’appartenance de la France à l’UE, tous acceptant implicitement la « subsidiarité » consistant à réserver ces questions (accessoires, du point de vue de l’évangile moral) à la technocratie euromondialiste.
*Tous les candidats admettent que l’objet de leurs convoitises est Matignon, c’est-à-dire – en cas de défaite de la Macronie parlementaire – la perspective d’une cohabitation, dans le respect des prérogatives pseudo-monarchiques de l’hyperprésidence néo-gaullienne d’E. Macron. Or, depuis février 2022, le programme de Grande Réinitialisation de Davos (et même l’indispensable Green Deal !) se cache derrière un impératif de politique extérieure : défendre l’Ukraine.
C’est ainsi que le système a réussi à toréer ses « pro-russes », aujourd’hui aussi inexistants politiquement que l’étaient devenus les « antivax » à compter de février 2022 – et pour les mêmes raisons : incapables de porter au concept la résistance des fellahs qui veulent vivre, les élites de ces avant-gardes potentielles les transforment en arrière-garde en les affublant des vieux vêtements de l’idéologie occidentale. Comme tous les candidats des législatives 2024 (pourtant tous covidistes et pro-Kiev), ces « dissidents » (théoriquement anti-covidistes et réfractaires au récit ukrainien) crient au fascisme, et cherchent à mobiliser au nom de la morale. Régurgitant en bégayant les slogans des totalitarismes du XXe siècle, ils restent, comme ces derniers, incapables de nommer l’oligarchie en tant que telle – car la conceptualisation de ce eux n’est possible qu’à partir de celle d’un nous. Or, faute de devenir post-occidentale, la Dissidence ne sait pas produire d’autre nous que celui de l’universalisme euromondialiste – lequel a, par conséquent, le dernier mot du débat. Car la somme des Charlie forme tout au plus un on6 – en aucun cas un nous.
Triomphales obsèques de la France
Tel est le contexte idéologique francophone de la probable dissolution accélérée de l’unité historique « France » dans le bain d’acide de l’euromondialisme.
Mais cette annihilation de la France comme fonds de population et de spécificités culturelles locales/concrètes est, en même temps, une apothéose de la France comme Mère de l’Universalisme : comme Fille aînée de l’Eglise des Croisades ; de cette France qui n’a raccourci ses rois très chrétiens que pour mieux les remplacer par des tribuns-idéologues – lesquels ont porté à sa perfection le projet de la scolastique (devenu projet hégélien).
Dans les milieux de l’intellectualité souverainiste – porteurs du pseudo-concept censé fédérer les arrière-gardes dissidentes –, il est de bon goût de vaguement mépriser les Allemands, dont l’identité nationale, nous dit-on, s’est formée dans le rejet et la haine de l’identité française. Historiquement, il y a du vrai dans une telle affirmation – constat d’ailleurs aussi applicable à l’Espagne7, en partie à l’Italie, et très certainement à la Pologne et à la Suède (avec, dans leur cas, bien sûr, la Russie « dans le rôle » de la France). Le revers de cette affirmation, néanmoins, c’est le principe structuraliste qui veut que ce qui ne s’oppose à rien n’est rien : la France, ne s’étant jamais opposée spécifiquement à quiconque8, n’est rien. Autre façon de dire qu’elle est tout – ou qu’elle est, comme le répètent certains souverainistes avec des trémolos dans la voix, « un projet-monde » : qu’elle est, donc, la matrice de l’Euromondialisme qui la « tue » sous nos yeux. Or survivre dans ce qui nous tue, c’est justement la définition du dépassement (Aufhebung) hégélien – cette forme si spécifiquement occidentale (car dynamique, instable, à jamais mouvante) de l’identité à soi.
Pour gérer sa sortie de l’Histoire, la France aurait (théoriquement) aussi pu – comme ces Roumains et ces Slovaques de l’Europe herdérienne de la Nation-Etat – se replier sur l’ethnique. Mais c’est là, précisément, l’option dont elle s’est définitoirement privée dès l’époque de la monarchie absolue (« 2e Occident »), en devenant, à partir de l’édit de Villers-Cotterêts (1539), la patrie omnibus de toutes les bourgeoisies traîtresses à leur terroir.
Nation Charlie, Peuple Charlie, ou Ensemble tous les Charlie ?
Au-delà des fantasmes de BHL, il existe donc bien une « idéologie française », qui n’est autre que l’idéologie occidentale9 – à la fois dans sa forme la plus pure, et appliquée. Et c’est au triomphe de cette idéologie que va assister le substrat résiduel blond de l’Hexagone en assistant (passivement, dans le meilleur des cas) au duel pour Matignon de deux antifascistes d’extraction maghrébine : Bardella, champion de la lutte contre l’antisémitisme, et Mélenchon, champion de l’anticolonialisme (comprendre : de la rétro-colonisation) et de l’antiracisme (comprendre : du racisme anti-blanc) – duel dont pourrait d’ailleurs, une fois de plus, sortir gagnant l’héritier de l’UMPS, synthèse (« en même temps ») de Bardella et Mélenchon : j’ai nommé E. Macron.
Car c’est, finalement, tout de même la Macronie qui incarne le mieux (de la façon la plus équilibrée) ce macrono-lepéno-mélenchonisme qui constitue l’état idéologique objectif du paradigme productif – de ce qu’il faut bien appeler (en dépit d’une moyenne d’âge inquiétante) les forces vives de l’Hexagone des Charlie. Ladite Macronie semble d’ailleurs être, d’une certaine façon, consciente de sa nature de synthèse, en partant au combat sous la bannière d’une coalition baptisée Ensemble.
Epanouissement d’ailleurs périphérique par rapport au cœur géographique de l’Occident historique : dans la France et la Grande Bretagne qui en avaient accouché, le libéralisme bourgeois est entré en pourrissement, mais n’a pas cédé au totalitarisme.
Ou, en général, plus exactement : par percevoir, c’est-à-dire par comprendre, mais de façon non-thétique : non-articulée (relevant plus du Verstand que de la Vernunft).
Respectabilisation/intégration dont il est bien sûr facile de suivre le parcours symbolique, à travers la passation de pouvoir du mâle alpha blanc para-vichyste Jean-Marie à sa fille Marine, puis de cette dernière à un gendre du clan. La couronne doit d’abord tomber en quenouille, passant à la Femme Blanche, pour finalement revenir au représentant dûment efféminé d’une autre lignée, en partie allogène.
A supposer, bien sûr, qu’on parle d’un Etat pratiquant – comme aux Etats-Unis – l’élection des juges.
Un paradoxe fort révélateur veut néanmoins qu’en Europe, la magistrature soit le seul corps de l’Etat à l’abri de l’électoralisme, alors même que son pouvoir (notamment sous forme de lutte contre la corruption) est le seul face auquel les détenteurs de mandats électifs ne disposent d’aucune immunité (ou d’une immunité toujours plus conditionnelle). L’Etat hobbesien ne peut en effet, à terme, que se doter d’une vitrine de dictature des juges – donc de théocratie, ces derniers étant (comme les Papes – et ce n’est pas un hasard) cooptés.
Parfois cosmétisé en niveau de vie, le pouvoir d’achat est une catégorie typique de la science politique taularde, c’est-à-dire de la théorie politique d’une syndication (naturellement jaune) des détenus du panoptique oligarchique. Son omniprésence dans le discours post-soc’dem’ qui a grand-remplacé celui de la lutte des classes après élimination de G. Marchais dénonce d’ailleurs paradoxalement, en creux, le caractère néo-soviétique du régime républicain français : une société au sein de laquelle il est bien entendu que la qualité de l’ordinaire dépend du bon vouloir de l’Etat – comme jadis les quantités disponibles de bas-résille des efforts démagogiques du camarade Brejnev.
Traduction du man de Heidegger – impersonnel allemand lui-même étymologiquement dérivé du substantif Mann (« homme ») : impersonnel humaniste, personne grammaticale spécifique de l’universalisme moderne. En boomerois à base française, man se dit aussi les personnes.
Une vieille métropole d’empire réveillée à son être national par l’invasion napoléonienne.
D’où ce « débat de l’ennemi héréditaire », qui agite régulièrement les milieux « nationalistes » français – reflet d’une vieille bipartition géoculturelle entre France atlantique germanophobe (« Empire Plantagenet », Girondins…) et France continentale antibritannique.
Que j’appelle généralement, depuis plus d’un an : Mainstream Idéologique Occidental.
Un texte calme et lucide.
Il suffit d’entendre le mot « pouvoir d’achat » pour sentir qu’on se moque de nous.
Comme la route est longue…
Eh ben ouais. On en revient à l'interminable décomposition de l'Occident.